Le 10 décembre 1948, les Nations Unies adoptaient à Paris la déclaration universelle des droits de l’homme pour affirmer solennellement l’importance des droits humains… Le 15 août 1960, le Congo proclamait son indépendance, dans le sillage de ce mouvement mondial qui revendique le droit à l’autodétermination de tous les peuples et légalité pour tous !
Il y a donc près de 60 ans, les congolaises célébraient le combat auquel elles ont également contribué pour acquérir une égalité des droits humains pour tous. Cette victoire, aussi réelle soit-elle, peut pour ces dernières sembler bien illusoire ; les violences endémiques à leur encontre rappelant que cet appel à la liberté ne peut encore trouver écho auprès de tous, nous exhortant nous, femmes, à nous mobiliser à nouveau tous les jours face à ces violences souvent perpétrées au nom de construits sociaux qui ne se justifient plus.
Violences sexuelles, mariages précoces, mutilations génitales, polygamie, violences domestiques… voilà ce qu’il reste en héritage de notre combat. Nous avons semé les graines de la liberté de notre pays, pour nous voir encore réprimées, voire harcelées par des institutions que nous avons contribué à ériger, mais dont le mutisme criant reste sourd à une justice équitable qui reconnaitrait l’entièreté de la femme.
Des lois ont bel et bien été rédigées et mises en place pour protéger les femmes, mais elles s’érigent aujourd’hui plus que jamais comme les geôles de la discrimination, renforçant un peu plus la prédominance masculine dans toutes les sphères d’une société qui clame fièrement le modèle d’un héritage patriarcal !
Oui, notre pays a adopté des textes en faveur du droit des femmes. La Convention sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes est ratifiée en 1982, complétée par la signature du Protocole de Maputo en 2007, s’inscrivant dans la continuité de l’établissement d’un Ministère de la Promotion de la Femme en 2005, donnant naissance à l’espoir d’avancées significatives quant à la revue du Code de la Famille pour l’amendement de lois discriminatoires en termes de genre. Par ailleurs, en mai 2007, une nouvelle loi électorale encourageant la candidature des femmes est adoptée pour les élections parlementaires. Mais malgré l’exigence d’un quota de 30% de candidates femmes au sein de chaque parti (Art.61), elle reste loin d’être appliquée. Le gouvernement congolais a adopté une stratégie nationale sur le genre en 2008, accompagnée d’un plan d’action sur le genre correspondant à la période 2009-2019, et couvrant 17 secteurs d’activités en adéquation avec les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement) dont des révisions prévues pour la période 2017-2021. Mais lesquelles ?
En effet, ce balbutiement d’évolutions n’estompe en rien notre inquiétude face aux violences persistantes à l’encontre des femmes, soutenues par une législation discriminatoire subsistante tant dans la cellule familiale que face à la justice, l’éducation ou encore l’accès à la santé. Aussi, le droit coutumier, présent dans toutes les sphères sociales, prédomine souvent avec tout son pouvoir de ségrégation, le droit statutaire, qui contient également des provisions discriminatoires.
Notre pays est aujourd’hui confronté aux limites de ses propres lois qui sont devenues obsolètes et inadaptées, nourrissant les stéréotypes à l’encontre des femmes dans le Code la Famille, quant à un âge légal différent entre l’homme et la femme pour se marier (Art. 128), la définition de la dot comme prérequis de mariage (Art. 140 et 141) ou encore le choix du lieu de résidence (Art. 171), l’autorité parentale (Art.168) ou la polygamie qui reste autorisée et régie (Art. 121 et 136). Le Code Pénal n’est pas en reste, notamment avec la qualification de l’adultère (Art.336 & 337), pour lequel l’époux doit se soumettre au paiement d’une amende lorsque l’épouse est passible de prison. Je réaffirme également toute mon affliction lorsque nous savons que le viol conjugal n’est même pas reconnu par la jurisprudence congolaise ! Les lois congolaises œuvrent aujourd’hui clairement pour une démarcation des traitements octroyés aux hommes et aux femmes, se traduisant par une stigmatisation des femmes victimes de formes de violences.
Nous avons pu constater au sein de la Fondation SOUNGA que malgré différents textes signés et relatifs aux droits des femmes, ces dernières restent écartées de la sphère de décision. Une nouvelle constitution a pourtant été adoptée en 2015, dont l’Art.17 dispose que : « la femme a les mêmes droits que l’homme. La loi garantie la parité et assure la promotion ainsi que la représentativité de la femme à toutes les fonctions politiques, électives et administratives ». Mais la réalité est autre. Si la participation féminine dans les pôles de décision progresse, elle reste dérisoire, le Congo se classant 158e sur 189 en termes de proportion de femmes parlementaires (Union Interparlementaire), soit une représentativité de 11.26% au Parlement et 18% au Sénat, loin derrière d’autres nations comme: le Rwanda (61,2%), la Namibie (46,5%), l’Afrique du Sud (45%) ou encore le Sénégal (41,8%).
Nous œuvrons quotidiennement au sein de la Fondation SOUNGA pour la mise en place d’un monde plus paritaire, égalitaire, encourageant les jeunes filles à embrasser des carrières florissantes et à créer des opportunités, mais surtout à être libres de leurs propres choix, face à des lois qui ne les protègent pas suffisamment. Il est important de travailler à faire respecter les lois mais aussi à œuvrer pour changer la perception qui est faite des femmes au sein de notre société. À l’heure de la révolution numérique, il faut reformater nos logiciels culturels en faveur des femmes et de l’égalité, car en prenant des droits aux femmes, c’est l’identité de notre nation que nous détruisons !
Les femmes ne sont ni subalternes, ni objets, ni inférieures et le droit congolais doit conforter toute la dignité de la femme en lui octroyant les mêmes droits et devoirs dans une Afrique en pleine mutation. Investir dans une approche genre dans notre pays, c’est investir dans la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté et le renforcement de l’économie, et en portant une attention particulière aux femmes tant dans l’élaboration de nouvelles politiques, que la mise en place d’un plaidoyer national, et l’adoption de nouvelles législations pour atteindre des résultats efficaces.
Il est temps que la conscience féminine s’éveille, sans complexe, mais avec toute la fierté et la réjouissance de contribuer à l’évolution de notre société en revendiquant une autonomisation gagnée au mérite, une autonomisation au goût d’une dignité retrouvée ! J’exhorte par ailleurs ceux qui font l’apologie de la misogynie, à penser ne serait-ce que quelquefois aux dommages de leurs actes et propos sur leurs mères, leurs sœurs et leurs filles !
Chacun d’entre nous doit être la source du changement de nos normes, de nos comportements, pour changer l’ordre social. L’ignorance du genre , c’est ignorer 50% de la population. L’ignorance des normes du 21e siècle et l’ignorance d’une économie intelligente, c’est tomber dans une médiocrité qui résulterait de cette négligence ! La féminisation de la société africaine est en marche dans nombre de pays et j’invite le Congo à rejoindre cet engagement indéfectible en lequel nous croyons !
Danièle Sassou Nguesso, MPA
Présidente de la Fondation Sounga
www.fondationsounga.org